TCI Coronavirus au Brésil

World Social Psychiatry
Special Issue on the COVID-19 Pandemic
Thérapie communautaire intégrative (TCI)
à l’heure du nouveau coronavirus au Brésil et en Amérique latine
Adalberto de Paula Barreto

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Résumé
Avec l’émergence de la pandémie COVID-19, l’humanité a fait l’expérience en même temps du confinement social comme moyen de se protéger et de la vulnérabilité de la vie humaine et des institutions. Dans le passé, les calamités étaient surmontées de façon collective, alors qu’à présent, avec cette pandémie, la façon de se protéger est de forme opposée: l’isolation sociale. Durant les 27 dernières années, au Brésil, nous avons développé la Thérapie Communautaire Intégrative (TCI) comme mode d’intervention psychosociale au sein du système de Santé Public, qui est présent dans différents contextes marqués par la rupture des liens sociaux. La technique de la TCI, qui a toujours été une essentiellement une expérience de rencontre face à face, a donc du se réinventer . Face à la pandémie, la TCI a été mise à disposition du public en mode virtuel, avec les objectifs suivants :
Renforcer les liens et construire des réseaux de soutien; Réduire la stigmatisation et les préjugés envers les personnes affectées, en encourageant l’empathie; Offrir un espace d’écoute pour les professionnels engagés dans la lutte contre la COVID-19. En mars et avril 2020, nous avons réalisé 100 séances en ligne, avec 3579 participants venant de 15 pays. Les problématiques les plus fréquemment exprimées ont été la peur et l’anxiété (53%), le sentiment d’impuissance (30%), les problèmes de relations familiales (10%) et la solitude (7%). Les séances de TCI en ligne ont constitué un réseau de soutien pour donner de l’espoir à ceux qui étaient confinés, et leur ont permis de plus de se découvrir des capacités inconnues pour transformer les obstacles de la vie. Animées dans 15 pays, et en quatre langues, les réactions émotionnelles ont été similaires partout, montrant ainsi que la douleur et la souffrance n’ont pas de frontières, et nous unissant dans notre humanité.

Depuis le début de l’humanité, les individus ont survécu à des tragédies, des catastrophes etdes calamités grâce à la capacité humaine à s’organiser et à surmonter les obstacles. Lescalamités se présentent sous de nombreuses formes : sécheresses, inondations, glissements deterrain, tempêtes, ouragans, tremblements de terre et épidémies. Elles produisent toutes un chaos à la fois physique et émotionnel, source de stress et de souffrances.

Avec l’émergence de la pandémie de coronavirus COVID-19, l’humanité a connu en même temps le confinement social comme moyen de se protéger et la vulnérabilité de la vie humaine et des institutions. Dans le passé, on surmontait les calamités en étant ensemble et maintenant, avec cette pandémie, la forme de protection est à l’opposé : s’isoler physiquement et éviter les foules, ce qui a intensifié les problèmes psychosociaux, avec une prévalence accrue de troubles mentaux, tels que la dépression et les idées suicidaires, et la violence au sein de la famille, entre autres problèmes sociaux.

Au cours des 27 dernières années au Brésil, nous avons développé la thérapie communautaire intégrative (TCI) comme mode d’intervention psychosociale au sein du système de santé publique brésilien (connu sous le nom de « SUS » – Sistema Único de Saúde) qui est mis en oeuvre dans différents contextes marqués par la rupture des liens sociaux. Promouvoir la résilience des communautés et l’autonomisation des personnes et des groupes signifie les
aider à transformer les expériences négatives en nourrissant la croissance individuelle et collective, sur la base des connaissances construites à travers leurs expériences de vie (Cyrulnik, 2017 ; Barreto, 2008). Les résultats de TCI ont démontré son efficacité en tant qu’instrument d’intervention psychosociale dans les soins de santé primaires, en privilégiant la promotion de la santé et de la qualité de vie (Andrade, 2007 ; Barreto, 2007 ; Cezário, et al., 205).

TCI en ligne et COVID-19

En termes de prévalence des cas, le Brésil se classe au second rang des pays les plus touchés par la pandémie, déstructurant des relations sociales déjà fragiles, aggravées par le confinement social. D’autre part, les structures psychiques individuelles et collectives sont ébranlées par les pertes sans les rituels de deuil appropriés et par l’exposition quotidienne aux nouvelles du nombre de victimes et de décès (OMS, 2020).
Les séances de TCI, qui ont toujours eu un caractère essentiellement expérientiel dans des rencontres en face à face, doivent maintenant être réinventées. L’Association brésilienne de psychiatrie sociale, la Section WASP de santé mentale communautaire avec le soutien de l’Association brésilienne de thérapie communautaire, le Réseau latino-américain des TCI et le Réseau européen de TCI ont uni leurs efforts pour créer un projet commun entre le Brésil, l’Amérique latine et l’Europe (www.abratecom.org ; www.apsbra.com.br ; www.aetcia4v.eu/).
Pour faire face à la pandémie, la TCI a été proposée au grand public de manière virtuelle, avec les objectifs suivants : renforcer les liens et construire des réseaux de soutien ; minimiser la stigmatisation et les préjugés envers les personnes infectées, en encourageantl’empathie ; offrir un espace d’écoute pour les professionnels impliqués dans la lutte contre la COVID-19. En mars et avril 2020, nous avons organisé 100 sessions, en ligne, avec 3 579
participants du Brésil, de l’Argentine, du Paraguay, de l’Uruguay, du Chili, du Pérou, de l’Équateur, de la Bolivie, de la Colombie, de la République dominicaine, du Mexique, du Portugal, de France, de Suisse et d’Italie. Lors de la conduite des séances de TCI, un seul thème a était choisi pour la réflexion. Néanmoins, dans les 100 sessions en ligne, une moyenne de 5 thèmes par programme ont été présentés, ce qui représente quelque 500 types
de préoccupation. Les préoccupations les plus fréquemment exprimées ont été les suivantes :
– la peur et l’anxiété (53 %),
– le sentiment d’impuissance (30%),
– les problèmes de relations familiales (10 %), et
– la solitude, la dépression et l’agressivité (7 %).

 

1. La peur et l’anxiété dues à l’incertitude – avec trois grandes craintes :
a) La peur de repartir à zéro, de faire face à l’avenir.
L’avenir semble incertain et devient une source d’anxiété :
« Que se passera-t-il après le coronavirus ? »
« Est-ce que je pourrai retrouver ma vie, mon foyer, mon travail ?
b) La peur de perdre des personnes importantes comme des membres de la famille ou des amis proches et de ne pas pouvoir les voir et les réconforter :
« J’ai peur de ne pas pouvoir dire au revoir aux personnes que j’aime »
« J’ai peur de perdre mon emploi et de ne pas pouvoir subvenir aux besoins de ma famille »
c) la crainte d’être infecté ou d’être infecté par le Covid19.
De cette peur de l’inconnu émerge une grande préoccupation pour les autres, due à l’empathie interpersonnelle.
2. L’impuissance
Ce qui ressort, c’est le sentiment d’avoir les mains liées. Souhaiter mais ne pas pouvoir aider ses proches :
« Je me sens limité dans ce que je peux faire » ;
« Je suis témoin de ce qui se passe sans pouvoir rien faire » ;
« Le contact direct avec mes élèves me manque » ;
« J’ai peur pour mes patients hospitalisés avec nos ressources techniques limitées ».
Beaucoup ont évoqué le sentiment de voir leur liberté restreinte et de vivre comme un enfant à charge et sous tutelle.
3. Relations familiales.
Il s’agit des difficultés rencontrées pour faire face dans l’environnement familial :
« C’est déchirant de voir des membres de ma famille qui ne se protègent pas » ;
« Je ne sais pas comment faire face à l’agressivité de mes enfants ».
Dernières réflexions
Grâce aux adaptations des TCI en ligne, nous avons pu constater l’implication active des participants. Pouvoir parler, écouter et créer des liens dans un environnement sans jugement a été un soulagement pour beaucoup. Dans toutes ces préoccupations, la découverte et l’enseignement les plus remarquables sont la capacité à transformer des événements traumatisants en une occasion de créer et d’inventer :
« J’ai découvert que je pouvais faire plus que ce que je pensais être capable »
« Lorsque j’ai décidé de vivre chaque jour comme si c’était le dernier, je me suis
calmé »
« J’ai appris que le fait de me concentrer sur l’espoir me donnait la force de traverser cette épreuve »
« J’ai saisi l’occasion de faire le vide dans ma conscience »
“j’étais désespéré et les séances de TCI m’ont donné la force de continuer »
« Nous avons pu découvrir ensemble que nous vivons une expérience fructueuse ».
Les TCI virtuelles sont devenues un réseau de soutien pour insuffler de l’espoir aux personnes en confinement social et, en plus, leur ont permis de découvrir des potentiels inconnus pour transformer les difficultés de la vie, les surmonter et, en retour, être transformé par elles. Les TCI en ligne ont accueilli la souffrance et ont permis de donner confiance dans la capacité des personnes à s’aider elles-mêmes, à se soutenir mutuellement, en déclenchant la résilience
par le partage des vicissitudes de la vie et en y faisant face. Réalisées dans 15 pays et en quatre langues, les émotions étaient les mêmes partout, démontrant que la douleur et la souffrance n’ont pas de frontières et nous unissent dans notre humanité.

Mots-clés : Santé Communautaire, Infection par le coronavirus, Thérapie Communautaire Intégrativeen ligne, Santé Mentale, Résilience

Traduction française N. Hugon aetci.paca@gmail.com
Références : voir l’article original en anglais

Pour citer cet article : Barreto AP, Filha MOF,Silva MZ, Di Nicola V. Integrative
Community Therapy in the Time of the New Coronavirus Pandemic in Brazil and Latin
America. World Soc Psychiatry – 2020;2:103-5.